Robin Dust ▼ "On meurt tous un jour. Tôt ou tard, c'est la seule différence."

Nous sommes un.

T'es né avec tes yeux bridés un peu écartés. Avec ton cinquième petit doigt tordu, avec ton corps tout mou. T'étais là juste un bébé de plus dans une maternité. T'étais là, t'étais une erreur pour ces gens là. T'étais une erreur pour tout le monde, t'en étais pas une pour moi. T'étais là, comme un peu de normalité dans la norme de perfection qu'ils instaurent aujourd'hui. T'étais là comme le seul à hurler qu'on a le droit d'être différent. T'étais à part. Le pull raté dans la chaîne de production. La pièce faussée. Et pourtant t'avais rien à leur envier tu sais, ce sont que des cons.  Nan des enfoirés. On est tous des enfoirés. Sauf toi. Sauf eux. Sauf ceux qui savent encore donner autre chose que l'uniformité.

J'ai pas toujours dis ça comme ça. Je t'ai pas toujours accepté comme j'aurais dû. Je t'ai toujours aimé par contre, ça c'est vrai. Et j'm'en veux tu sais, même si je regrette rien. T'étais un peu lent ça m'énervait. Tu faisais tout de travers ça me faisait rire. Et puis t'étais tellement dans ton monde. J'étais peut être jalouse au final j'en sais rien. Et toi t'aimais. Et tu vivais. Avec NRJ toute la journée. Avec Shrek, Spirit et Mary Poppins dans le lecteur cassette. Avec tes mots qui veulent rien dire. Tes phrases que je dois tout le temps traduire à tout le monde. Nequinéaquessosse. Je veux dire quelque chose. Celui là je t'embête tout le temps avec. Je te le répète en me moquant gentiment de tes déformations de langage. On parle comme toi à la maison. C'est drôle. C'est simple. Vivant. Et j'ai plus du tout l'impression d'être banale.

J'ai pas toujours été digne de toi. Je t'engueulais quand j'en pouvais plus. De te garder tous les soirs. De te donner ta douche quand t'avais une faiblesse même si maintenant t'étais sensé être propre. Quand t'allais manger dans le frigo, que je te trouvais et que je m'énervais. J'ai pas toujours été bien. J'ai pas toujours mesuré ma chance. T'étais chiant des fois. Maman t'aimait trop. Et je m'en fichais un peu mais ça m'énervait. Elle t'appelait « Amour », elle te couvrait tout le temps. Et puis quand tu lui piquais son téléphone. Que tu m'appelais quatre fois de suite alors que j'étais en cours. Quand tu m'envoyais des textos qui ressemblait à rien. J'en pouvais plus des fois, quand tu riais sans t'arrêter. Que tu mettais de la musique de merde à fond dans la maison. Et quand je t'énervais que tu disais des gros mots. Tu les comprenais même pas, tu disais ça sur le coup, et le soir même tu m'appelais « ton grand sœur ». T'as jamais su accorder les genres. J'étais ton grand sœur, en fait j'étais ta petite sœur en vrai de vrai, mais c'est pas grave on s'en fiche t'as raison. Je gueulais quand tu faisais de l'ordinateur. Que tu regardais en boucle les deux milles photos de papa. T'avais ce côté agaçant. Hyper irritant. De celui qui comprends pas et qui se rends compte de rien. Qui n'a pas vraiment d'enjeu dans a vie, à part prôner haut et fort sans le savoir, que l'uniformisation de la société c'est de la merde.
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On est pareil. Juste un chromosome qui change.

Ces questions qu'on me posait sur toi. Ces gens qui n'ont jamais rien compris. Ces regards qu'on posait sur toi. J'en ai baffé un une fois. Un enfoiré. Un voisin de classe. Qui a osé dire le mot comme une insulte. Ces regards bizarres. Ces questions quand on me voyait avec toi. Ça m'énervait, j'avais pas honte. J'ai pas toujours été gentille et aimante comme j'aurais dû avec toi. Mais j'ai jamais eu honte, ça jamais. J'en ai contenues des insultes quand les gens me parlaient de toi. Quand un tas d'enfoiré me parlait de Simone Veil. J'en ai retenu des coups de poings. Quand un couillon me posait les questions qui fâchent. Même si le pire je crois, c'était les regards indifférents. Quand tu descendais dire bonjour et qu'on te regardait pas parfois. Juste un crétin assis dans le canapé. Et puis toi tu arrives, tu lui dis bonjour, un bonjour déformé, un bonjour quand même. T'obtient pas de réponse tu me regardes avec des yeux idiots. Des yeux grands ouverts qui comprennent pas. T'as pas besoin de comprendre tu sais, on est juste des enfoirés.

T'as jamais été blessé des insultes. Des regards. Des mots, des attitudes. T'as jamais vraiment souffert de l'ignorance, tu t'en rendais pas compte. Moi j'ai souffert pour toi. Moi je les ai pris les regards. Les mots, l'ignorance. Moi je les ai pris, j'ai pleuré pour toi. Bien plus que s'ils avaient tous étés pour moi.

L'amour c'est pour les cons on dit souvent. C'est vrai que ça fait cool de dire ça. C'est vrai que ça donne un genre. Et c'est sûrement vrai que l'amour c'est pour les cons. Mais le reste c'est pour les enfoirés. Ya plus beaucoup de cons de nos jours. Tu comprends pas grand chose. Tu comprends l'amour par contre. Et pas de manière pathétique, de manière ridicule. C'est pas juste une façon de le dire pour que les gens te regardent en souriant avec pitié. C'est juste vrai. T'es amour pour moi. Je connaîtrais sûrement l'amour des enfoirés comme tout un chacun. Au moins je pourrais dire que j'ai connu l'amour con aussi. L'amour avec un chromosome en plus. L'amour triso.

Qu'est-ce que ça change dis moi ? Un chromosome de plus, un de moins. On s'en tape. T'es imparfaitement parfait. Parfaitement imparfait. On en a rien a carre hein? Moi je t'aime différent. Je t'aime quand tu comprends rien. Je t'aime malformé. Je t'aime connement. On dit tous que t'es débile. J'crois que c'est nous qui le sommes.  La norme c'est d'être parfait, sans handicap, sans tares. La norme c'est d'avoir un  petit nez, de longues jambes. D'être mince à faire peur, de se saper comme des putes. La norme c'est d'avoir des gosses parfaits. De choisir la perfection. Toi t'emmerdes la norme. Je l'emmerde avec toi. Parce que t'es le visage de la différence. T'es le visage de la résistance. La résistance à la norme. La résistance à la perfection. T'es pas une erreur. T'es pas un monstre. T'es trisomique ouais. Et alors ?